Le don d’ovules : solution controversée

Saviez-vous qu’au Canada, près de 16% des couples sont touchés par l’infertilité ? (Gouvernement du Canada, 2019) Plusieurs facteurs peuvent être à l’origine de cette infécondité : chez la femme, il peut s’agir de l’âge, de problèmes liés à la production d’ovules, de problèmes utérins ou liés aux trompes de Fallope, l’endométriose ou encore une ménopause précoce. Chez l’homme, on peut retrouver une mauvaise qualité des spermatozoïdes ou encore un faible taux, jusqu’à l’absence de spermatozoïdes. Chez les deux sexes, on peut parler de traitements précédents contre le cancer (chimiothérapie, radiothérapie ou chirurgies), de maladies chroniques (ex : diabète), de consommation de substances comme l’alcool, la drogue et le tabac, une insuffisance pondérale ou un surpoids, un déséquilibre hormonal ainsi qu’une infection transmise sexuellement comme la chlamydia. (Gouvernement du Canada, 2019) Dans tous ces cas, le taux de fertilité de la personne diminue de manière significative. Et depuis une dizaine d’années, le taux de fécondité des Canadiens est en baisse, surtout chez les femmes. En effet, depuis 2009, on peut observer une diminution importante de cette statistique à l’aide de l’indice synthétique de fécondité1. Entre 2012 et 2016, on passe d’un indice de 1,62 enfants par femme à un indice de 1,54. Pour les couples affectés par cette situation, il peut être difficile de trouver des solutions qui fonctionnent et leur permettent d’avoir des enfants. Parmi ces solutions, on peut trouver le don d’ovocytes. Malheureusement, cette pratique est fortement contestée par certains, puisqu’ils affirment que la procréation médicalement assistée (PMA) avec don touche un sujet très important : le don de gamètes devrait-il rester anonyme ?


Le don d’ovule consiste à l'extraction des gamètes d’une donneuse qui seront ensuite fécondés et implantés dans l'utérus de la receveuse afin de lui permettre de porter son enfant. Pour commencer, la donneuse rencontre l’équipe médicale du centre de dons pour comprendre tout ce qu’un don implique et donner son consentement. Au prochain rendez-vous, l’équipe effectue un bilan médical pour s'assurer de la bonne santé de la donneuse, ainsi qu’un examen gynécologique pour évaluer sa condition ovarienne et vérifier l'absence de virus tels que le VIH ou hépatites. On vérifie aussi ses antécédents de consommation et familiaux. Finalement, on effectue un caryotype (examen des chromosomes) afin d’évaluer les risques de transmission d’une anomalie génétique qui pourrait être donnée à l'enfant. Ensuite, une consultation avec un psychologue ou un psychiatre est effectuée pour connaître les raisons du don et s'assurer que la donneuse comprend ce dans quoi elle s’implique. Ensuite, des traitements d’hyperstimulation ovarienne sont entrepris. L’hyperstimulation se traduit par des injections hormonales qui vont pousser les ovaires à expulser le plus d’ovocytes possible à la fois lors d’un même cycle menstruel. Pendant la stimulation, des échographies ovariennes et des prises de sang sont effectuées pour adapter le traitement à la réponse du corps. Lorsque les ovules sont prêts à être extraits, la donneuse est mise sous anesthésie locale ou générale de courte durée. Le prélèvement se fait par voie vaginale et dure environ dix minutes. La donneuse est ensuite mise sous observation et peut quitter l’hôpital après quelques heures à condition d'être accompagnée. À la suite du prélèvement, les ovules récupérés sont soit fécondés immédiatement et attribués à un couple ou une femme célibataire receveuse, ou ils sont congelés dans de l'azote liquide pour être donnés plus tard. (Agence de la biomédecine, sans date)

Le don d’ovocyte est un acte extrêmement important dans notre société. On ne parle pas seulement des couples qui sont incapables de procréer à cause de l'infertilité ou de dysgénésie2, mais aussi des couples homosexuels et des femmes célibataires qui désirent avoir des enfants. Le don est crucial pour permettre à tous ces gens d'avoir des enfants. Au même titre que le don de sperme, le don d'ovules amène un débat éthique sur l’anonymat : les enfants provenant d’un don devraient-ils connaître la personne qui a fait un don, jusqu’à se demander s’ils devraient savoir qu’ils proviennent d’un don. En effet, certains pensent que le don devrait rester anonyme, mais cette pensée provient-elle du tabou de l'infertilité ?

Dans un article de 2014 des docteures Julie Achim et Raphaële Noël, celles-ci affirment que certains couples hétérosexuels ressentent une honte par rapport à l'échec que peut constituer leur infertilité. Dans un autre article réalisé par deux psychologues consultantes en fertilité, on souligne que « le recours au don de gamètes représente à la fois un nouvel espoir pour le couple de parents en devenir et un travail de deuil de la filiation biologique » (Gauvreau, 2016). Les deux psychologues affirment que des doutes quant à l'identité parentale peuvent apparaître chez le couple, car « comment devenir parent sans avoir de lien génétique avec l'enfant ? » (Gauvreau, 2016).

Sans surprise, les couples hétérosexuels constituent la plus grande part des gens ayant recours aux dons de gamètes. S'ensuivent les couples homosexuels puis les femmes célibataires. Conséquemment, les études et statistiques concernant le don sont en grande majorité réalisées avec des couples hétérosexuels. Ainsi, on peut constater que les opinions sont majoritairement fondées sur l’image stéréo typique de couples hétérosexuels. En conséquent, un stigma s'est créé dans notre société sur l'infertilité et le recours aux dons de gamètes. Mais pourquoi donc ? Selon Raphaële Noël, les gens touchés par l'infertilité ressentiraient une blessure narcissique, que ceux-ci soient conscients ou non de cette douleur. Dans le cas où le parent consentirait à ce que l'enfant rencontre sa donneuse, une rivalité possible entre la donneuse et la receveuse pourrait se créer puisque le parent aurait une crainte que la donneuse serait préférée par l'enfant à ses parents. En effet, elle affirme que « par le passé surtout, certains parents n'osaient pas révéler à leurs enfants la façon dont ceux-ci avaient été conçus, de crainte qu'ils cherchent à retrouver la donneuse et qu'un lien affectif se développe entre eux. Pourtant, aux yeux des enfants issus d'un don d'ovules, leurs véritables parents sont ceux qui les ont élevés. ».

En fait, le débat sur le don de gamètes peut se résumer à ceci : l'anonymat des donneurs devrait-il être conservé, de peur que les enfants développent un lien plus fort avec la donneuse ou le donneur que ses parents ? Personnellement, je trouve bien raisonnable que la décision de l'anonymat de la donneuse ou du donneur des gamètes reste dans les mains des parents. Je crois qu’il faudrait plus s’attarder sur les motifs de la décision, surtout si elle s'avère être négative. En effet, même s'il peut être facilement compréhensible qu’un parent puisse ressentir de la jalousie face à une préférence de l'enfant à quelqu'un d’autre, il est absurde de priver un enfant de connaître ses véritables origines par crainte ou jalousie. Peu importe le scénario, je trouve impératif qu'un enfant né d'un don le sache. Tous les enfants ressentent à un moment ou un autre le besoin de connaître leur histoire, et ceux nés d'un don ne sont pas des exceptions.

Il va sans dire que le don d’ovocytes est crucial. Ce qui est malheureux, c’est la rareté de l’acte. Celui-ci est très peu connu, contrairement au don de sperme ou des mères porteuses. Et le débat sur la moralité de cet acte n'a pas sa place, puisque c'est un choix, de la donneuse tout comme la receveuse. La question qui persiste : comment éliminer ce tabou insensé sur le sujet ?

Mélodie Fournier

1 «L’indice synthétique de fécondité renvoie au nombre d’enfants qu’une femme aurait au cours de sa vie reproductive si elle connaissait, à chaque âge, les taux de fécondité observés au cours d’une année civile donnée. L’indice synthétique de fécondité a pour avantage d’être facile à calculer et de ne pas être affecté par les variations dans la taille ou la structure par âge de la population, ce qui permet d’établir des comparaisons annuelles, provinciales/territoriales et internationales.» (Statistiques Canada, 2018)

2 Incompatibilité génétique qui empêche d'avoir des enfants génétiquement apparentés aux deux parents

Commentaires